Il est fréquent que, dans certaines situations, on pose sa guitare négligemment debout le long d’un meuble. Et souvent l’instrument glisse et tombe. Et presque aussi souvent le manche casse à son point faible, c’est-à-dire à la jonction manche-tête au débouché du truss rod (et c’est surtout vrai pour les manches en acajou). Si la cassure est nette, bien en sifflet avec une surface de joint importante, un simple collage sous presse à la colle à bois fera l’affaire, la seule difficulté étant le parfait alignement des deux pièces. Si la surface de collage est peu importante ou si vous avez des doutes sur la solidité future de la réparation, une solution consiste en l’insertion de deux plaquettes (épaisseur 10 à 12 mm environ) du même bois que le manche, placées symétriquement de part et d’autre du truss rod et débordant largement de chaque côté de la cassure.
Si après les raccords de finition les inserts se voient, ils peuvent ne pas être inesthétiques s’ils sont parfaitement symétriques. Si la cassure est vilaine ou si la réparation précédente ne tient pas, la seule solution est la pièce de jonction. Certains luthiers font des pièces semi-cylindriques, mais j’ai choisi la pièce en V, plus facile à réaliser et qui offre une plus grande surface de collage.
Il convient toutefois de coller préalablement les deux morceaux du manche pour en assurer l’alignement.
Quelques exemples :
Parmi la bonne douzaine de réparations que j’ai été amené à effectuer, j’en ai choisi cinq assez représentatives.
Réparation 1
Une folk japonaise du début des années 70 "réparée" avec une vis par son propriétaire. Evidemment, ça ne tenait pas ! Dans ce cas, la cassure était propre, bien en sifflet. J’ai donc collé puis inséré deux plaquettes d’acajou, côté face étant donné le sens de la cassure, ensuite un peu de mastic, un raccord de peinture et depuis 7 ans ça tient.
Réparation 2
Le deuxième exemple concerne une Epiphone SG. La cassure était assez vilaine, mais j’ai opté pour la solution des inserts qui fut un échec (voir photo). Il a donc fallu passer à la pièce de jonction. Ca n’a pas bougé depuis 2 ans.
Réparation 3
La basse Jacobacci JB 280 fretless se trouvait dans le même cas de figure. Son propriétaire qui n’en jouait plus depuis 2 ans a pu à nouveau en profiter.
Réparation 4
Autre exemple, une Bartolini du début des années 60. Le manche est en sycomore et une partie de l’instrument est recouvert d’un film plastique doré pailleté. La cassure avait été recollée à l’araldite puis renforcée à l’aide d’un collier serflex : autant dire que c’était à la fois solide et esthétique ! J’ai donc opéré de la même façon que pour les 2 guitares précédentes et j’ai fait la finition en mélangeant 2 peintures dorées différentes de façon à m’approcher le plus possible du doré d’origine.
Réparation 5
Magnifique D 28 de 1970, et avec un son à tomber ! Quel dommage, elle est fausse ! Comme elle a subi, il y a quelques années, un "reset neck" (repositionnement du manche), peut-être est-ce dû à ça ? Quoiqu’il en soit, pour lui redonner sa justesse, il faudrait reculer le sillet de chevalet de 4 mm, ce qui est énorme et l’amènerait contre les chevilles.
Plusieurs solutions s’offrent à nous :
1) Décoller à nouveau le manche et le recaler. Mais cela oblige à "bidouiller" l’assemblage qui doit être solide et stable, et cela risque également de se voir beaucoup.
2) Décoller le cordier/chevalet pour le reculer des 4 mm fatidiques. C’est une opération très délicate qui consiste à mouiller et chauffer pour ramollir la colle. Ce n’est déjà pas simple avec un chevalet partiellement décollé alors, là, les risques sont d’arracher des fibres de la table, de décoller le joint central de ladite table, voire de décoller partiellement le barrage interne, car la table fait à peine 3 mm d’épaisseur et l’épicéa est tendre et poreux ! Sans compter que les vernis n’aiment pas la vapeur d’eau !
3) La troisième solution, celle qui a été choisie, consiste à "sacrifier" mécaniquement le cordier/chevalet d’origine et à le remplacer par un autre, un peu plus large, permettant de reculer sillet et chevalet tout en couvrant l’ancien emplacement non verni de la table.
Après l’établissement d’un croquis coté, un nouveau chevalet en ébène a été réalisé, puis celui d’origine a été dégagé au ciseau. Positionnement du nouvel accessoire, traçage de l’emplacement, grattage des traces de colle et de vernis et enfin collage.
Les 4 mm de largeur supplémentaires du nouveau chevalet se remarquent à peine et surtout, cette belle guitare a retrouvé sa justesse, indispensable à une utilisation professionnelle.
Nota : cette guitare était équipée d’un "JLD Bridge Doctor", petit ustensile s’opposant à la déformation de la table et optimisant la projection sonore.